Récit d'un burn-out... et gratitude
- melisarachelle
- 17 nov.
- 5 min de lecture
Certaines choses semblent immuables. Dans ma vie c’est le manque d’argent et là tout de suite, le blocage sur la préparation de mes cours. Dès que cela devient difficile, mon cerveau passe en mode black out. C’est comme un mur noir très solide qui ne laisse plus rien passer. Mon burn out date d’il y a cinq ans, et ce mur noir est toujours là, même si j’ai eu le temps de me reposer en profondeur et même si je prépare maintenant des cours pour une seule personne à la fois, et non plus trente. Après tout ce que j’ai fait, et surtout tout le repos que j’ai pris ces cinq dernières années pour me remettre du burn out, ce blocage commence à me paraître éternel, comme s’il ne bougera plus jamais.
Ca me rend vraiment triste parce que je me souviens de mon enthousiasme et de ma créativité d’avant. J’adorais créer des cours, c’est ce que je préférais. La création de déroulé pédagogique, de A à Z à partir de « documents authentiques » comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire non encore coupés ou transformés pour devenir des supports pédagogiques, est ce qui m’a fait réussir mes études et avoir mon concours. C’était mon point fort. Et c’est là-dessus que ma capacité de concentration a grillé… Ca me rend vraiment triste. C’est comme si j’avais perdu mon jouet préféré. J’aimerais retrouver la candeur que j’avais qui me permettait de ne pas compter les heures passées à créer des activités pédagogiques pour apprendre cette langue que j’aime tant pratiquer, utiliser, avec laquelle j’aime tant jouer. Force est de constater aujourd’hui, alors que je démarre un cursus avec une nouvelle élève demain, que je n’y arrive plus. Je suis obligée de me contenter des activités basiques. Je ne peux plus dépasser le premier niveau de création.
Je devrais peut-être laisser tomber, parce que ça me coûte beaucoup de me retrouver devant ce blocage éternel. Je ne trouve pas de porte, pas de solution. Dès que je ne fais qu’évoquer intérieurement la question de la création d’une progression pédagogique un peu construite, tout se brouille dans ma tête, je ne peux plus réfléchir. Pourtant j’ai envie, et je sais très bien faire. Mais je ne peux plus. Ces capacités ne sont plus accessibles à ma conscience. Elles sont comme cachées dans une pièce sombre sans fenêtre à la porte blindée verrouillée par un triple verrou dont j’ai perdu la clé. Cette tristesse encore.
Une grande tristesse. Elle est mélangée à de l’amertume, de la déception. J’avais tant d’enthousiasme a créer et cela n’a servi à rien. Certes la plupart de mes classes m’appréciaient mais je n’ai pas eu le sentiment de réellement influer sur le niveau de mes élèves. Les bons sont restés bons, ceux qui se pensaient nuls ont continué à se sentir nul malgré toutes mes belles idées et mes encouragements. J’ai enseigné au lycée et au collège. Comme le dit Céline Alvarez, une fois arrivées au collège, les jeunes ont solidement défini leurs leviers d’apprentissages. Qu’ils soient bons, mauvais ou moyens, ils le resteront, sauf cas exceptionnels.
J’étais nourrie du fantasme de la super prof. Je pensais que j’allais révolutionner la vie des jeunes parce que je faisais différemment, parce que je les écoutais, parce que je créais de supers jeux pédagogiques, parce que j’évoquais des sujets qui les touchaient, parce que je les faisais chanter, utiliser leur corps, méditer et inventer des histoires. Je sens comme je suis en colère contre ce mythe vendu par les films hollywoodiens et que j’entends dans tellement de bouches d’adultes innocentes qui ne savent pas de quoi elles parlent, qui n’ont jamais vu leur joie et leurs efforts se fracasser et éclater en morceaux, jour après jour, sans comprendre précisément pourquoi.
Ca tourne en moi. J’avais tellement d’espoirs. J’avais tellement d’idées. J’avais tellement d’envie. J’ai passé tellement de temps. Tout ça pour rien. J’ai eu quelques signes de reconnaissance. De jolies paroles d’élèves, de parents, et même de mon dernier directeur qui n’a pas compris pourquoi je ne pouvais plus me retrouver devant une classe. « Pourtant vous n’aviez pas de problème ». Non. Mais je me jugeais sans arrêt et les collègues ne m’aidaient pas. Paradoxalement, c’est d’elles que venaient les plus acerbes critiques, exprimées ou silencieuses.
En vous racontant tout ça, je suis restée proche de comment ces mots résonnent en moi. En déposant tout cela, je sens que quelque chose s’est apaisé. Alors je me suis dit : « est-ce que je pourrais ouvrir la porte blindée maintenant ? » La réponse est venue tout de suite : « non, tu t’es promis de ne plus jamais l’ouvrir, c’était trop douloureux ». Une promesse inconsciente, pour me protéger. Je sens tout à coup une immense vague de gratitude pour ce qui en moi m’a protégée, ce qui m’a forcé à cesser de me faire du mal, ce qui m’a obligée à arrêter d’enseigner à des classes de trente jeunes. Vraiment, je me sens si reconnaissante. En restant avec ça, l’ampleur de la sauvegarde, c’est le mot qui me vient, me fait voir cette incapacité comme quelque chose de beau. Ne plus y arriver, c’était ma porte de sortie. Je n’ai pas eu à choisir. J’étais au pied du mur. Je ne pouvais plus. Quel soulagement !
Si je pouvais à nouveau, qu’est-ce qui m’empêcherait de me remettre à enseigner à des classes ? Est-ce que je ne me ferais pas à nouveau piéger par mon enthousiasme et mon idéalisme ?! Avoir ma créativité pédagogique éteinte me permet de me garantir que je n’irai pas plus loin que donner quelques cours particuliers, pas trop, en sans trop d’engagement, pour ne pas être déçue si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Et avec détachement. Je fais de mon mieux en sachant que je ne porte plus le poids des progrès de mes élèves.
En psychologie on parle de modèle biopsychosocial. J’imagine que je ne suis pas la première à penser à l’appliquer aux apprentissages. Ca paraît si évident. On a tendance à mettre tout le poids de la réussite sur les épaules des enseignants. J’en fais même, personnellement, mon business aujourd’hui : « Ah oui ces profs son tellement mauvais qu’il faut des cours particuliers pour compenser » !
Et si ce n’était pas les profs le problème ? Si elles n’étaient qu’un facteur au sein d’un système complexe en et autour de l’enfant comprenant ses prédispositions et soutiens (ou manque de soutiens) biologiques, psychologiques et sociaux ? Et si, comme nous le disait notre prof de TD ce matin, on appliquait ce modèle à tout dans la vie ? Personnellement ça m’enlève le poids des jugements que je m’assène et aussi que j’assène aux autres ! Je me sens tout à coup très légère !
Et je me mets à voir le burn-out comme cette incroyable capacité à prendre tous le poids d’un système dont je ne suis qu’un maillon sur mes petites épaules, à vouloir pallier à toutes ses failles ! Jusqu’à ce que mon petit système à moi dise stop.
Et je lui en suis profondément reconnaissante. Car maintenant je peux prendre soin de moi. Et j’ai atterri aussi. J’ai cessé de me prendre pour superwoman. Cette douce humilité me berce et me fait désormais me féliciter à chaque petit accomplissement, que ce soit une session de révision efficace ou un évènement stressant que j’arrive à vivre avec douceur. Je suis infiniment plus douce avec moi-même, et avec les autres.
Le burn-out est une épreuve profondément difficile car elle remet en cause tout ce que nous croyions de nous-mêmes et de nos capacités. C’est la façon qu’à notre inconscient de nous obliger à redescendre sur Terre, à apprécier les petites choses et à redéfinir notre essentiel.
Alors à toutes celles et ceux qui l’ont vécu ou sont en plein dedans, j’aimerais vous dire un grand Bravo pour votre burn-out !
Soyez douces avec vous-mêmes. <3





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